Histoires de Porschistes : La Porsche 911 CTR Blue Bird

Il y a 31 ans (décembre 1991), votre magazine Flat 6 mettait en couverture de son N°10, un trio de 911 Ruf CTR rouge, jaune et Bleu. « Comme un mirage » titrait Marc Joly, tant l'image de ces trois 911 prêtes à bondir était irréelle. Avec l'aide de Christian Tahon (et Nello), nous avons retrouvé Dominique D, propriétaire de la CTR Bleue du reportage, pour évoquer ses souvenirs au volant de la CTR, mais aussi la vie qui allait avec dans les années 90.

"J'ai pris possession de ma 911 CTR en 1990", se rappelle Dominique. "Une voiture neuve configurée selon un cahier des charges typé « piste ». Je participais à l'époque aux sorties du Club Porsche de France et du club Europa avec une 911 Carrera RS 2.7 allégée et préparée piste. La meilleure auto pour ce type d'exercice. Mais vous connaissez la nature humaine... quand sont arrivés d'Allemagne les premiers échos d'une 911 de 469 ch filant à 342 km/h, nous avons été tentés avec deux amis, François L., Sydney T. et Nello notre préparateur, de nous rendre en Bavière, chez RUF Automobile, pour essayer cette 911 survitaminée." C'est ici que le délire s'installe. "Stefan Roser, l'essayeur maison, est venu nous accueillir à l'aéroport. Le retour au garage dans le Combi VW Ruf équipé d'un moteur de Carrera 3.2 (avec des pointes à 200 km/h) était un avant-goût de la suite du programme... l'essai de « Yellow Bird » sur les départementales (étroites) proches de Pfaffenhausen., avec Stefan Roser au volant. Vitesses inavouables, survirages, dérives des 4 roues… Tout en réajustant sa mèche de cheveux, Stefan jouait avec l'auto. C'était phénoménal, mais avec une certaine dose d'inconscience ! Nous avons eu la peur de notre vie. Le plus cocasse : en rentrant à l'atelier après un premier run, Stephan s'est plaint d'un mauvais réglage du moteur, « elle n'avance pas ! dit-il. « Yellow Bird » monta sur le pont, et retour en piste. Certains parmi nous n'étaient pas chauds pour un nouveau tour de manège." sourit le Dijonnais. Essai concluant pour nos trois amis qui commandent chacun un exemplaire de CTR. "François avait choisi la couleur Rouge Indien. Sydney le Jaune Clair de la RS 73... et moi j'hésitais. J'aime les couleurs pétantes".

Un bleu, mais lequel ? "Fan de sport automobile, j'aimais le Bleu de la BMW 320 Gr 5 « Fruit of the Loom » de 1978. Référence BMW « Hellblau-5002 ». C'est OK" a répondu Aloïs Ruf. "J'ai reçu ma CTR en dernier, elle était la plus légère des 3. J'avais choisi l'intérieur dépouillé de la 3.0 RSR. C'est Stefan Roser qui effectua le rodage des freins... en ma compagnie. Un départ pianissimo qui vira assez vite au prestissimo ! Je me suis fait tout petit dans le baquet. Je craignais le pire pour ma belle bleue !" se souvient Dominique.

"Nos premiers tours de piste au volant des CTR furent compliqués. Ruf fabriquait des 911 de route à haut potentiel, mais pas réellement pensées pour le circuit. Une ré-accélération les roues braquées, et c'était le tête-à-queue à coup sûr !" C'est ici qu'entre dans l'histoire, Nello Basteri.* Mécanicien chez le spécialiste Porsche, Louis Meznarie, il a contribué largement au succès des 911 SC de rallye ou RSR de circuit du préparateur durant les années 80. "Son expérience a été précieuse pour améliorer le comportement des CTR. Aloïs Ruf, en visite lors d'un roulage au Paul Ricard, sera étonné de l'évolution de ses autos." Des sorties circuits qui fleuraient le bon vieux temps. "Nous nous rendions sur les circuits par la route, ou l'autoroute. Quelques fois en patrouille... Nous utilisions la CB des routiers pour nous avertir des « dangers ».  Nello nous attendait avec les pneus rangés dans son Chrysler Voyager et sa remorque. Il montait les slicks et c'était parti pour le rodéo. Aloïs Ruf avait confiance en nous. Un réglage additionnel nous permettait une pression supérieure sur piste, qui nous faisait atteindre 550 chevaux (soit plus que la GT3 RS 2022, avec 250 kilos en moins !)."

Si la 911 CTR jouit d'une cote d'amour étonnante en 2022,** ce n'était pas le cas en 1991. "C'était une auto méconnue. Grâce à Nello, qui est indissociable des 3 CTR françaises,*** nous avons pu rouler sur circuit de manière sécurisante, mais ce n'était pas une auto conçue pour cela. La puissance du bi-Turbo mettait à mal les suspensions, les freins, les pneus chauffaient très rapidement. Le moteur de la CTR demandait un respect total des températures et une montée en régime extrêmement stricte. En outre, nous utilisions de l'essence d'avion à 100 octanes." Dominique a roulé dans sa CTR Hellblau durant 10 ans. "Je prenais plus de plaisir avec la RS 2.7 et ses 900 kilos. Aloïs Ruf l'a revendue à un client allemand… qui l'a repeinte en noir, et lui a ajouté de grosses ailes. J'avais un peu mal au cœur..." L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais, quelques années plus tard, Dominique reçut un appel de Monaco. Le nouveau propriétaire de la CTR souhaitait l'aide du Porschiste Dijonnais pour immatriculer la 911. "A l'époque, j'avais dû recourir à une réception à titre isolé de ma CTR. J'ai pu l'aider. En retour, nous nous sommes retrouvés sur le circuit de Dijon-Prenois. Le nouveau propriétaire l'avait remise dans sa configuration Blue Bird, caisse étroite et Bleu « Fruit of the Loom. J'ai pu la piloter à nouveau. Nello était présent." Une happy end... pour cette belle histoire d'un temps où puissance rimait avec insouciance... passion avec un soupçon de déraison. C'était bien avant.

* Nello, surnommé « l'ingegnere » par les trois amis, tant sa science de la 911 était grande.

** En partie, grâce à la vidéo virale de la CTR « Yellow Bird » effectuant un tour d'anthologie de la Nordschleife, avec Stephan Roser au volant. 

*** Il en existait une quatrième. Gris Argent métallisé et configuration « Touring ».

Par Dominique Maroni